Interview. G.Tarlé « Beaucoup de meilleurs souvenirs sur ces 10 ans »
23 Oct 2023 16:28 / A LA UNE, EQUIPE DE FRANCE SENIOR FEMMES

Cet été, Grégory Tarlé a passé le cap des 10 ans à la tête de l’Equipe de France Féminine ! Russie, Vaujany, Angers, Brampton, le coach des féminines nous évoque quelques moments forts de sa carrière.
Crédit photo : Krisztian Horvath
Grégory, quel est ton sentiment sur ces 10 ans à la tête des Bleues ?
Le sentiment premier est de la fierté. Entre l’équipe que j’ai connue il y a 10 ans et celle de maintenant, il y a eu beaucoup d’évolution, tout comme dans le staff. J’ai beaucoup de reconnaissance sur la confiance qu’ont pu me donner les personnes avec qui j’ai travaillé. En dix ans, on se remet beaucoup en question, on se renouvelle aussi.
J’ai toujours l’ambition personnelle de me dire que la qualification aux Jeux Olympiques était possible
Tu prends les rênes de la sélection en 2013, après la montée en D1A et tu as réussi à pérenniser l’équipe de France à ce niveau, comment y es-tu parvenu ?
Il faut se souvenir que l’Equipe de France descend en 2009 et qu’elle remonte en 2013. Il y a tout ce travail de quatre ans qui a été effectué. J’étais déjà assistant mais Christine Duchamp a réalisé un gros boulot (actuelle DTN de la Fédération Française de Hockey sur Glace). La pérennité des résultats tient compte aussi de cette période. Depuis, j’ai essayé d’amener mes connaissances, mes envies, mes motivations. La confiance des joueuses a permis de se maintenir et même de gravir un échelon supplémentaire, par deux fois, en montant dans l’Elite.
Quand tu deviens coach principal, est-ce que tu te dis que tu vas rester aussi longtemps en poste et pensais-tu l’Elite atteignable ?
On ne se dit jamais qu’on va rester aussi longtemps. J’ai toujours eu l’ambition personnelle de me dire que la qualification aux Jeux olympiques était possible et je suis quelqu’un qui ne met rarement de barrière. Pour moi, il n’y a rien d’impossible et on l’a montré avec ces deux montées en Elite
Après 10 ans, as-tu ce même enthousiasme en tant que coach ?
J’ai voulu rester car quand tu te sens bien chez quelqu’un, tu n’as pas envie que la soirée se termine. Là, c’est pareil ! J’ai eu le soutien des deux DTN successifs, des staffs, des joueuses, donc ça te pousse à porter le projet et continuer.
Quel est le rôle de ton staff par-rapport à toi, les relations que tu as avec ?
Ce que je demande aux personnes du staff, c’est de l’engagement. Je leur laisse l’initiative, pour que chacun, dans son corps de métier, se sente impliqué et apporte quelque chose. Il y a un cadre pour que tout le monde fonctionne bien mais chaque personne apporte son côté personnel, c’est enrichissant. Le staff est une petite équipe, les joueuses constituent une autre équipe. Le tout, c’est l’Equipe de France ! Les deux personnes avec qui j’ai le plus de contact sont le manager Emmanuel Colliot et l’entraîneur adjoint Sébastien Roujon. Mon rôle est de coordonner ces deux personnes pour qu’on s’assure une cohérence au point de vue technique comme logistique. Après, j’entretiens des relations avec tous les membres du staff. Ce qu’il y a de difficile en équipe de France, c’est que les périodes de regroupement sont intenses mais courtes. Sur les périodes de compétition, ce sont des émotions énormes avec des temps de vie presque 24 heures/24. Mais après tout le monde rentre chez soi, ça s’arrête comme ça du jour au lendemain. C’est donc important de garder ce lien, de s’assurer que tout le monde soit informé des décisions prises pour garder cette identité propre à l’équipe de France.
On a réussi à montrer que le hockey féminin français était capable d’entrer dans le Top 10 Mondial
En 10 ans, qu’est-ce qui a changé dans la relation que tu as avec ton staff ?
Le staff a évolué en nombre. Ça peut donc complexifier les relations car il faut s’assurer que tout le monde soit sur la même longueur d’onde avec les bonnes informations à communiquer. Les premières années, on faisait attention en prenant des personnes en plus. Mais on le voyait aussi comme une marque de reconnaissance de la Fédération car cela veut dire qu’on nous adresse le droit d’augmenter le staff. On gère le recrutement avec Emmanuel Colliot, ainsi que l’aspect suivi entre les stages pour que chacun puisse débriefer avant d’entamer une nouvelle compétition.
En 2018, l’Equipe de France remporte la Division IA à Vaujany et monte dans l’Elite du Hockey Féminin. Quel était ton sentiment à ce moment-là ?
On a réussi à montrer que le hockey français était capable d’entrer dans le Top 10 Mondial. C’était la première fois que ça arrivait. C’était aussi une sorte d’aboutissement du projet. On est passé vite dans une autre dimension pour réitérer ce genre de performances. Le faire une fois c’est bien, mais pour changer la hiérarchie et bousculer l’ordre établi, il faut le répéter. On a donc cherché à requestionner le projet, et voir ce qu’on pouvait améliorer à différents points sur le plan physique, technique, social ou encore psychologique pour rester à ce niveau.
Crédit Photo : Olivier Brajon
Pour toi c’était une surprise de monter ou quelque chose d’attendu ?
A l’époque, il n’y avait qu’une seule montée contrairement à maintenant. Ce n’est pas pareil de devoir gagner pour monter comme on l’a fait à Angers que d’avoir deux montées. Je savais que cette accession dans l’Elite était quelque chose d’envisageable, car à chaque trêve, on arrivait à battre régulièrement les équipes qu’on affrontait en Division IA. On savait que c’était réalisable mais il fallait réussir à le faire sur une compétition majeure et officielle.
2019, c’est l’année où vous découvrez le championnat du Monde A. Que retiens-tu de cette première expérience et cette victoire contre l’Allemagne après prolongation ?
Pour nous, c’était une découverte à tous les niveaux ! Il a fallu absorber cette première expérience et en même temps être performant. Tu arrives dans un format de compétition difficile à cinq équipes où tu joues quatre rencontres avec des équipes adverses qui avaient l’habitude de ce niveau-là, pour deux descentes. On était vraiment le petit poucet qui montait. Il a fallu se dire que le maintien était possible, on ne voulait pas venir en Finlande, juste pour voir ce qu’il s’y passait. Mais on ne se voilait pas la face non plus. Ensuite, on réussit cette victoire de prestige contre l’Allemagne (3-2 après prolongation), la seule à l’heure d’aujourd’hui en Elite. Encore une fois, il n’y a pas de hasard car c’est une équipe qu’on avait déjà battu. C’était une victoire forte car à ce moment, on était déjà éliminés de la compétition. L’équipe a su se remettre en question, elle a livré une prestation de grande ampleur avec une grosse force mentale pour accrocher ce succès.
L’an dernier en 2022, vous remportez une deuxième fois le championnat du monde de D1A, en France à Angers ? Qu’est-ce que ça représente de gagner cette compétition dans ton pays ?
C’est une circonstance similaire à Vaujany en 2018 et Strasbourg en 2013 pour la montée en D1A, car les compétitions se jouent en France. Je trouve qu’à chaque fois qu’on a joué dans notre pays avec l’Equipe de France, il y a eu cet engouement. A Angers, c’était incroyable d’avoir une finale à plus de 3500 personnes. Ça montre aussi la ferveur que peut avoir le hockey féminin et l’équipe de France féminine de Hockey sur Glace. Au-delà du résultat, les valeurs de dépassement sont perçues par le public. C’est une marque de reconnaissance énorme pour les joueuses, pour le travail qu’elles fournissent tous les jours, de se dire qu’elles ont une patinoire remplie pour une accession en Elite. Jouer en France, c’est grandiose mais encore plus quand des records d’affluence sont battus. C’est une aide énorme de sentir une telle affluence derrière soi. On pense que ce soutien a permis de galvaniser les joueuses pour aller chercher ces deux montées.
Crédit Photo : Théo Bariller-Krine
L’Equipe de France a vécu un dernier championnat du monde compliqué avec quatre défaites et une redescente en Division IA. L’objectif sera de retrouver l’Elite dès l’an prochain ?
On sort de Brampton (CAN, Mondial 2023) déçu et frustré. Mais avec le recul, je pense que ça va nous servir ! Cet événement sera très utile pour les deux échéances à venir. On serait sur la meilleure préparation possible pour le TQO en retrouvant l’Elite dès l’an prochain. Après, ce n’est pas parce qu’on monte en Elite qu’on va se qualifier et inversement. L’ambition est de remonter. Je pense qu’on est capable de le faire et ça nous aidera sur le ranking international, qui sera officiel qu’après le championnat du monde. On a donc des points à marquer dans cette compétition-là.
En 2022, comme en 2018, l’Equipe passe proche d’une qualification historique aux Jeux Olympiques. penses-tu que ça sera la bonne en 2026 ?
L’Equipe de France Féminine n’a encore jamais participé aux JO. En 2021, pour les Jeux Olympiques de 2022, on s’est arrêtés au dernier tour, à un but de la Suède. En 2016, pour les Jeux Olympiques de 2018, on a été stoppé aussi au dernier tour de qualification. Plus on avance dans le temps et plus on se rapproche de cette échéance. C’est difficile de dire si ça sera la bonne pour 2026 car on n’a pas encore le format final du TQO. On sait juste que cela devrait avoir lieu en 2025, quasiment un an jour pour jour avant les Jeux. On va donc tout faire entre maintenant et février 2025 pour se préparer au mieux, et entre-temps, il y a un mondial à jouer.
Je remercie grandement toutes les joueuses et staffs avec qui j’ai travaillé et les personnes présentes sur ce projet
C’est une jeune équipe, mais elle arrive avec des dernières expériences fortes. Quel est ton regard sur cet enchaînement et sur ce que cela peut apporter au groupe ?
Je suis convaincu que chaque expérience va apporter ! Celles qui ont connu le sacre à Angers et la relégation à Brampton, vont arriver avec une connaissance du niveau international et des ingrédients nécessaires pour gagner. Elles ont des armes supplémentaires pour résoudre des problématiques. Dès la fin du dernier championnat du monde, on était déjà tournés sur la préparation du prochain. On échange beaucoup avec les joueuses et le staff pour se dire les choses, et se servir de ce qu’il s’est passé, pour être meilleurs la prochaine fois, chacun à son échelle.
Quel est ton meilleur souvenir sur tes dix années en tant que coach de l’Equipe de France ?
J’ai beaucoup de meilleurs souvenirs (rires). Forcément, ces deux victoires en D1A en font parties. J’ai aussi un souvenir historique d’une victoire contre la Russie (décembre 2018, succès 3-1). La Russie, c’est un monument incroyable du hockey, ça fait partie des trois-quatre meilleures nations au monde. Le fait de les jouer est déjà excitant, ce sont des pays que tu ne joues pas souvent. Et en plus de les battre, ça a une valeur importante. C’est un match, un souvenir parmi tant d’autres, mais s’il ne fallait en choisir qu’un, ça serait celui-là.
🇫🇷3-1🇷🇺 HIS-TO-RI-QUE : les Bleues s'offrent pour la première fois une victoire contre la Russie, 4ème nation au classement mondial @IIHFHockey 🎉 => https://t.co/rEenZrarGE #HockeyFrance #WeCanBeHeroes pic.twitter.com/RUzcFIgpNF
— Équipes de France Hockey (@Hockey_FRA) December 14, 2018
Et à l’inverse, le pire ?
(il réfléchit) A l’inverse du bon souvenir, je ne sais pas si je pointerais un match ou une compétition. Mais plutôt des mauvaises périodes où on se laisse submerger par des émotions négatives et on met du temps à s’en sortir comme à Brampton. Sur le moment, ce sont des périodes de doute pour l’équipe et le staff, ce n’est pas facile. Après coup, ce sont des expériences qui nous servent et qui vont nous servir, ce sont des moments douloureux qui deviennent positifs. Je ne peux pas dire que ça soit si négatif.
Quel serait ton plus gros coup de gueule dans un vestiaire ?
Les plus gros coups de gueule ont lieu pendant ces mauvaises périodes justement. J’ai souvenir d’un tournoi en Slovaquie, un autre en Russie, où on était sorti de nos valeurs. En même temps, je pense que c’est nécessaire de recadrer et de surprendre à certains moments, c’est notre travail pour qu’il y ait une réaction. Ce n’est jamais mal perçu quand c’est bien expliqué par la suite.
Cela fait maintenant dix ans que tu entraînes l’Equipe de France. Selon toi, qu’est-ce qui a changé dans le hockey féminin et au sein de l’Equipe de France sur cette période ?
Pour moi, c’est vraiment la dimension physique qui a évolué : développement des qualités de force des joueuses et cardio-vasculaires (résistance à l’effort). Depuis 10 ans, je vois une évolution au sein de l’Equipe de France et du hockey féminin mondial. Il y a toujours des nations qui sont devants mais c’est beaucoup plus serré entre un Top 6-7 et un Top 14. Mais c’est aussi parce que le niveau global notamment physique a augmenté car les hockeyeuses peuvent s’investir de plus en plus avec des carrières plus longues. Je trouve ça extraordinaire que des joueuses peuvent revenir sur la glace après avoir eu des enfants. C’est la plus grande évolution même s’il y a encore des choses à améliorer. La force des réseaux (sociaux), qu’il n’y avait pas auparavant, permet de mettre en lumière ces exemples de réussite pour qu’ils soient visibles pour les plus jeunes.
Quelle serait ta plus grosse fierté sur tes dix ans ?
Être toujours soutenu par les personnes en qui j’ai confiance, que ça soit le staff et les joueuses, c’est ce qui m’anime encore. J’ai eu la chance d’avoir des capitaines et des assistantes incroyables, à mon arrivée et encore maintenant. C’est important de pouvoir compter sur des personnes investies à 100%, qui croient en ce qu’on fait et en ce que je dis. Je suis très fier des résultats mais je le suis encore plus sur le sentiment de confiance entre toutes les entités.
Un dernier mot à ajouter ?
J’en profite pour remercier énormément toutes les joueuses et le staff avec qui j’ai pu travailler et les personnes qui ont bossé sur ce projet. Je crois énormément en cette continuité. La réussite de l’Equipe de France, c’est l’équipe première mais c’est aussi toutes les personnes qui travaillent dans l’ombre . Je pense au Pôle France, aux Equipes de France jeunes. L’équipe de France senior, c’est la vitrine, mais sa force, c’est qu’il se passe en-dessous également. Cette transmission fait avancer le projet de l’Equipe de France, alors merci à toutes ces personnes d’y croire.
Crédits Photos : Théo Bariller-Krine / Jonathan Vallat